La décision date de moins de 15 ans, mais elle semble déjà appartenir à un passé lointain. En mars 2011, suite à l’accident de Fukushima (Japon), Angela Merkel officialisait la sortie définitive du nucléaire pour l’Allemagne. À l’époque, certains imaginaient que cette décision de la première puissance économique européenne ferait des émules sur le vieux continent, et sans doute dans le monde entier. Une décennie plus tard, le choix allemand semble aujourd’hui à contre-courant. Et encore plus depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et ses conséquences sur le marché de l’énergie. La preuve par les chiffres. À l’échelle mondiale, environ 11 % de l’électricité est aujourd’hui produite par 443 centrales nucléaires réparties dans 30 pays (source : AIEA). Mieux, d’ici 2030, la production d’énergie nucléaire devrait atteindre + 15 % globalement par rapport à 2020. Contrairement à une idée reçue, cette dynamique ne concerne pas que le monde occidental. En plus de l’Europe et de l’Amérique du Nord, l’intérêt pour le nucléaire progresse également aujourd’hui dans les pays du Golfe, en Afrique, en Asie ou encore en Inde.
La bataille culturelle en passe d’être gagnée ?
Comment expliquer une telle attractivité pour l’atome ? Pour de nombreux pays, le nucléaire est désormais considéré comme une source d’énergie maîtrisée et garantissant des coûts de production d’électricité bas. Il permet ainsi d’atteindre une forme d’autonomie et de souveraineté énergétique, à la différence du gaz et du pétrole qui sont davantage soumis aux fluctuations de prix. Surtout, l’énergie nucléaire s’inscrit comme une solution concrète pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc freiner le changement climatique. Séduisants pour les gouvernements, ces atouts semblent également convaincants pour les ménages touchés par l’inflation. Dans un sondage Ifop datant de septembre 2022, à peine 6 % des français se déclaraient ainsi “tout à fait opposés » à la production d’énergie nucléaire dans notre pays. Ils étaient même 65 % à se présenter comme “favorables” aux projets de construction de nouveaux réacteurs dans l’hexagone. De quoi conforter Emmanuel Macron dans ses choix énergétiques. Ce dernier souhaite en effet faire de la France “le premier grand pays industriel à sortir de la dépendance aux énergies fossiles” grâce notamment à la construction de six EPR (réacteurs pressurisés) de deuxième génération avant 2040. Soit un investissement total de 50 milliards d’euros. Pour mémoire, le nucléaire représente déjà 70 % de la consommation du mix énergétique français et notre pays possède le deuxième plus grand parc nucléaire au monde après les États-Unis.
Sûreté et déchets : les défis prioritaires
Ce vent favorable ne doit pas faire oublier les grands enjeux de l’industrie nucléaire pour continuer à grandir et à se déployer dans le monde entier. Le sujet de la sûreté des centrales en fait évidemment partie. Plusieurs décennies après leur démarrage, de nombreux réacteurs ont dépassé leur durée de vie prévue, nécessitant des investissements importants pour les maintenir en service. En France, c’est justement l’objectif des programmes de grands carénages qui sont mis en place pour améliorer la sûreté des centrales nucléaires en empêchant notamment dispersion de produits radioactifs. Il convient également d’analyser et partager les conclusions de tous les incidents enregistrés pour inscrire le parc nucléaire mondial dans une logique d’amélioration permanente. Sans tomber dans le catastrophisme. S’il est indispensable de surveiller la bonne santé des centrales et bien que des incidents soient toujours possibles, le nucléaire reste une énergie considérée comme sûre par les spécialistes du secteur et les autorités. Cet optimisme concerne aussi le sujet des déchets radioactifs. En l’absence d’une solution miracle pour éliminer les déchets nucléaires, ces derniers sont aujourd’hui parfaitement conditionnés et stockés par des entreprises disposant d’une longue expertise et d’une exigence reconnue. À l’image de l’entreprise Orano, détenue par l’État français.
SMR : le nucléaire d’après-demain ?
Pour la filière, le défi du moment est également technologique. Les réacteurs de première génération sont en passe d’être progressivement remplacés par des centrales plus avancées. Plusieurs technologies sont présentes sur la ligne de départ. On pense bien sûr à l’ITER, un projet de recherche international de conception d’un réacteur à fusion nucléaire. Une première unité expérimentale est actuellement en cours de construction à Cadarache dans les Bouches-du-Rhône. La technologie des petits réacteurs modulaires (SMR) retient également l’attention des acteurs du monde de l’énergie. Sur le papier, cette nouvelle forme de centrale – dont la puissance varie entre 20 et 300 MWe – dispose de sérieux atouts pour se déployer largement. Plus légères, plus locales et surtout plus compactes, les centrales SMR devraient pouvoir s’intégrer sur un terrain de seulement une dizaine d’hectares, contre dix fois plus pour un site nucléaire classique. En France, EDF, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et une dizaine de start-up françaises planchent déjà sur ce type de solutions. C’est le cas par exemple d’Hexana qui travaille sur la conception d’un réacteur nucléaire modulaire à neutrons rapides refroidi au sodium. Son point fort ? Réutiliser les matériaux usagés issus de l’industrie nucléaire actuelle pour réduire ainsi la dépendance à l’uranium. Un élément chimique dont les ressources sont certes abondantes, mais parfois situées dans des pays instables sur le plan économique et politique. Hexana espère disposer d’un premier prototype opérationnel d’ici 2030. Avant cette date, les promoteurs du SMR devront, comme toujours, convaincre sur l’acceptabilité de leur solution. Mais aussi donner à une nouvelle génération d’ingénieurs et de techniciens l’envie de rejoindre leurs équipes de conception et de construction. De jeunes professionnels qui ne manqueront pas de travail pour répondre à l’immense attente autour de la production d’électricité nucléaire dans un monde zéro carbone. L’énergie du futur s’invente dès aujourd’hui.